Lieux #35
Le temps est une roue avançant écrasant soigneusement au passage ceux qui se tiennent sur sa route, la terre, les gens, les maisons, les paysages, comme si ce n'était rien que tout ce monde qui sort de là laminé par l'arrière de l'église et forme un cortège qui ne change pas, suit le même chemin, arrive au même endroit, y laisse le mort et tous les souvenirs, revient en luttant dans le vent pour garder sa casquette ou le chapeau qu'on ne porte que pour ça puis reforme une tablée autour du café qu'on ne peut pas ne pas offrir, ils sont venus de loin, l'église était tant pleine que les portes sont restées ouvertes, c'est la consolation alors que les collines s'érodent avec la pluie les léchant patiemment et arrachant la poussière qu'on voit remplir les fossés par le fond, il faudra les curer au printemps, il y avait avant plus de forêts, on l'imagine, on s'invente une époque où ce qu'on est n'était même pas pensable encore mais où les gestes qu'on fait dans chaque saison n'étaient pas différents, pas tellement, le cochon se tuait de même manière et sa tripaille se vidant chaude dans l'air glacé faisait déjà cette brume un peu salée enveloppant tout quelques secondes, les silhouettes sont les mêmes ou quasiment, le bruit qui vient de l'Est est celui de la roue, personne n'y prête attention, cela viendra quoi que l'on fasse et pour ce moment-là, c'est la bête en deux ouverte qui nous importe, le reste le reste on verra bien, le crochet qu'on force dans la patte derrière le tendon du talon raccroche un peu, est-ce que tu peux tenir l'échelle au lieu de bayer aux corneilles espèce de grand con ?