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Comment je n'ai pas été écrivain

À le chercher, ne pas le retrouver dans mes monceaux, j'en déduis que le tout premier a disparu corps et âme, enseveli dans quelque tiroir, ne faisant qu'y passer rapidement avant de servir d'allume-feu pour la chaudière à bois, cette grosse bête nichée au fond de l'une des dépendances aux milles portes de la ferme familiale. Cette masse de métal grommelant, qu'il convenait de réveiller presque chaque matin de nos six mois d'hivers après qu'elle ait terminé en pleine nuit de dévorer les bûches enfournées en grand nombre le soir d'avant, jusqu'à ras de sa gueule, dans l'espoir vain que ça lui fasse le tour du cadran. La ruse ne marchait que rarement, insuffisante pour tenir le feu jusqu'à ce que l'aube sorte des limbes. Toutes les nuits, quasi, à quelques heures du lever du soleil, la bête avait dévoré toute sa gamelle et s'éteignait mollement, hoquetant. Puis cliquetait à mesure qu'elle se détendait, que la chaleur de son feu retombé se dissipait dans l'univers, la grange, l'immense grand rien de la nuit sans limites. Ses bruits ralentissaient. Les rougeoiements qu'on distinguait par le hublot sali de suie passaient au sombre. Elle semblait doucement redevenir ce qu'elle était, un bloc noir à gorge de fonte dont les portes ne cachaient plus grand chose de l'incendie réduit à quelques cendres à peine tièdes. Alors, toujours, dans le silence, le jour venait, et le froid était là.