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Usine d'étés

J'ai passé deux ou trois étés suant dans une yaourtière géante mais résumé ainsi cela ne veut rien dire alors je vais reprendre, manière d'expliquer ça et de ne pas en rester là. Qu'on s'imagine donc. Tous les étés d'avant j'avais passé les longs jours de juillet, ceux déjà raccourcis d'août, à faire le peintre dans l'entreprise d'un oncle, avec comme chef un oncle, et ils étaient deux frères, l'oncle propriétaire de l'entreprise, celui chef de chantier, pour moi c'était pareil, je bossais en famille, et les deux m'engueulaient chacun son tour, c'était une routine bien tournée, du matin jusqu'au soir, perchés sur nos échelles ou montés à l'échafaudage branlant tellement qu'à chaque fois je me disais cette fois on va descendre et puis jamais ça n'est tombé, on peignait, l'oncle du chantier, d'autres ouvriers, moi — pour l'oncle propriétaire, il ne tenait plus un pinceau depuis si longtemps que je ne l'ai jamais vu faire en fait, ne roulait plus un mur, ne ponçait plus une barre, courant qu'il allait de clients en clients à chercher de quoi nous occuper, et tout le monde payer, et à tout prendre, je me disais qu'après tout, je préférais être là dans mes fringues dégueulasses et raides de couleurs sèchées, qu'à faire ce qu'il faisait, et qui l'énervait bien, du soir jusqu'au matin, l'inverse exact de nous, de moi, qui une fois rentré avec les autres entassés dans l'estafette dans les vapeurs de white spirit en eau de toilette, lavé à grande eau, gavé de tout ce que je trouvais de lourd à manger, biberonné à la télé, m'endormait comme un bébé, si vite et bien que je n'ai jamais su si c'était lié à la fatigue, la douceur du soir, ou les volutes des solvants me berçant.