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Cinquante


Le projet est simple : à l'approche de la cinquantaine, cinquante lieux sans ordre ni priorité tels qu'ils sont en mémoire et tels qu'un outil comme Google Maps les montre "à présent" ; comparer ; errer — dans sa mémoire, et dans l'espace faussement réel du monde reconstruit de machines.


La salle de classe est haute unique avec son poêle le long du mur aligné aux fenêtres dont la poignée résiste au moment de fermer, au moment de rouvrir, à tout moment en fait. Nous sommes sans distinction d'âge de nom, je n'en sais plus beaucoup, une photo quelque part est pleine des visages d'alors posés sous l'arbre poussant devant la cour minuscule, j'ai souvenir aujourd'hui encore de la plupart mais n'en ai vu aucun depuis vingt années pleines au moins, il me souvient que l'un avait exactement même date de naissance que moi, cela m'avait laissé sans voix, me questionne toujours, sur les chemins que nous avons suivis et lui et moi en partant du même jour. Le couloir juste avant mêne donc au droit à la mairie et à l'appartement aussi où vit l'instituteur, je crois qu'il fallait gravir quelques marches, pour la mairie on descendait, à gauche donc la classe, en haut celui qu'on appelait le maître, en bas la salle du maire, ce n'était guère que cela dans la bâtisse juste au bord de la route à côté d'une église légèrement dans son retrait et qui je crois partageait même la cour, un autobus nous laissait ras du mur, il suffisait de monter l'escalier, pas celui du dedans mais celui du dehors qui du niveau bitume nous amenait à la terre battue de la cour surplombante, je ne sais si l'on voit la disposition évoquée, elle est dans moi très claire pourtant, et j'ai parfait souvenir aussi de cet hiver si froid que des oiseaux posés dans l'arbre tombaient au sol gelés, ne tenant plus, que nous glânions pour les amener au chaud dans la salle de classe, il suffisait d'attendre, ils revenaient, se reprenaient à s'agiter, il était temps de les sortir dehors, une fois l'un d'eux s'est envolé avant d'avoir été rendu à l'air dehors, la pièce haute lui suffisait et puis il faisait chaud alors que de l'autre côté des vitres c'était ce froid au goût d'acier que l'on sentait à chaque année.

L'arbre donc maintenant n'est plus, j'en vois le vide que ça fait et pour le monument des morts je n'en avais aucune trace pourtant il date à voir ses dates, un oubli étonnant puisque l'escalier qu'on montait passait juste auprès, je vois la première marche, c'est d'une étroitesse mystérieuse, je vois aussi un crépi rose et le mien était gris, les peintres sont passés, il y a des traces d'humidité mais je les pense bien éternelles.