Cinquante #25
Il fallait voir ça, le résultat après des heures de travail, les chutes tirées des grumes récupérées chez le scieur plus bas dans le hameau voisin que des parents utilisaient afin d'alimenter les feux et nous, avant qu'elles soient débitées, ces chutes, comme de quoi construire la cabane, pas seulement une cabane de branches comme celles que nous avions montées avant dans les vergers vers le haut du village mais cette fois une vraie en dure, avec même deux pièces je crois, et un poêle qui chauffait, des fenêtres, un toit, un pont permettant de franchir le ruisseau à côté, je me demande même si une partie n'était pas au-dessus de l'eau, le souvenir s'effraie, il y avait au sol des tommettes peut-être venues de je ne sais, quelque chantier, la décharge près des sapins secs où tout aboutissait de gravats du village, une porte à cadenas, une petite maison en somme, les filles n'y venaient pas ou si, quand elles venaient, nous en gardions secret, j'en sais ou un ou deux dans le grand flou qu'ils nous font tous.
Il a suffit que le ruisseau déborde un jour de longue pluie, qu'il mange dessous la terre ce qui tenait les racines d'un arbre proche, ce dernier est tombé au pile de la cabane, l'eau folle a fait le reste, en revenant il ne restait plus rien qu'une sorte de bazar, on ne voit plus maintenant que le jumeau de l'autre tombé, c'est celui droit devant, la manière dont ses branches s'implantent marque jusque dans son creux l'absence de celui qui a broyé notre cabane, d'elle je ne sais plus rien, le ruisseau coule toujours, le scieur a fermé, plus personne ne traverse sur un vélo tirant une carriole chargée à gueule de chutes de bois le village qui s'endort.