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Histoire - les Gens

Qui commença le jour où l'on vit passer sur la route qui fait depuis toujours du village deux moitiés parfaitement égales des gens dont on ne savait pas d'où ils venaient (...) et qui ne s'arrêtaient pas et dont toute la vie semblait entassée dans tout ce qu'ils poussaient traînaient devant derrière eux en passant devant nos maisons devant lesquelles nous étions sortis toutes et tous leur faisant une sorte de haie d'honneur d'indifférence aussi et les regardant comme ils nous regardaient mais eux passaient et nous les suivions du regard et certains d'entre nous les suivaient pour de vrai le long de la route mais s'arrêtaient en même temps que s'arrêtaient les façades des maisons du village et pas eux inconnus qui continuaient à marcher dans les poussières de cette route sur laquelle on les voyait avancer encore un bon moment jusqu'à ce que leurs dos ne soient plus que des points minuscules et tant noirs qu'on ne distinguait pas vraiment le moment où les bois tout là-bas refermant la vallée finissaient par les avaler comme s'ils avaient été des songes et lorsque l'on se tournait de l'autre côté on voyait tous ces gens mais des autres qui continuaient à arriver eux sortant sur la route des forêts de l'autre côté du village des forêts qui faisaient de l'autre côté du village une barrière que nous ne passions jamais et le flux de ces gens semblait parti pour durer toute la nuit et dans le silence que nous gardions leurs mots à eux ces gens tombaient dessus le sol comme s'ils avaient été ces mots des oiseaux morts qui nous demandaient du pain ou de l'eau ou un endroit où dormir ou tout ça à la fois et nous aurions pu rester là peut-être jusqu'au dernier jour de tous nos jours à tous à les regarder couler devant nous que personne n'aurait répondu oui nous aurions pu demeurer là indifférents mais le père finit par dire que ça sufffisait qu'on allait rentrer maintenant manger la soupe qui devait refroidir à force du moins il aurait pu dire ça si le père avait été le genre de personne à user sa salive pour rien ce qu'il n'était pas ce qui fait qu'il ne prononça pas un mot (...) et se contenta de rentrer dans le ventre frais sombre de la maison en nous jetant au passage un regard muet qui disait tout cela et pas un mot de plus ce qui s'avéra bien largement suffisant pour que nous le suivions sans attendre pendant que derrière nos dos que la porte basse enfournait exactement comme nous allions le faire de la soupe ça continuait ce bruit ce frottement de pieds de roues voilées des vélos des charrettes et ces reniflements de femmes d'enfants qui pleuraient sans plus savoir pourquoi qui continuerait jusqu'au bon milieu de la nuit au moins mais personne n'aurait pu le dire vraiment puisque un à un les pas de portes se vidèrent et qu'il n'y eu bientôt dans le village plus âme qui vive pour regarder passer ces gens et savoir quand cela cessa.