Lieux #37
Il faudrait se souvenir des endroits où l'on passe, en tenir la liste, l'inventaire, manière de ne pas perdre le lien avec la vie qu'on déroule sans y prêter garde, nous faisons tous la même erreur, ce n'est pas faute pourtant d'avoir été prévenus, les vieux le disent tous, personne ne les écoute, on sait bien qu'ils déparlent, on se rassure ainsi, les croire n'est pas possible, on se poserait de suite sur le bord de la route les jambes ballantes dans le fossé en attendant dans le vent fou léger qui sourd du printemps que vienne la fin, le monde irait en vrac, on ne peut pas faire ça, on fait comme si demain était juste la veille d'un autre demain, on oublie donc presque tous les endroits sur lesquels on a posé ses pieds, certains surnagent quand même, on ne sait pas vraiment où, on ne saura jamais pourquoi, les lieux dont on garde mémoire sont des îles posées sur la grande mare du temps, ce sont des nénuphars, les jours comme aujourd'hui on saute de l'un à l'autre, on va où on le veut, et rien n'empêche donc de passer d'un seul coup des grandes terres froides de l'Est au bord léger du fleuve, mai est tout en avance, une grande maison est là et ses volets ouverts, tout le monde imagine, c'est rêve et c'est réel, qui s'occupe des salades ? on ne connaît même pas cette voix, la terrasse est dessus droite face à l'eau qui roule, le jardin est derrière partout très allongé et dans l'herbe rosée, on marche sans s'arrêter, c'est cela que d'écrire, marcher sans s'arrêter, ne craindre aucun muret, on passera toujours, on marche sans s'arrêter.