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Lieux #9

À penser à tout ça, à brasser ces quelques kilomètres carrés qu'on traverse toujours tranquillement assis à l'arrière de la voiture, engoncé dans la veste trop chaude qu'on a oublié de retirer en s'installant mais qu'on sera infiniment heureux d'avoir sur le dos lorsque l'on arrivera et que s'extirpant de l'acier tiède on sentira les crocs du froid essayer de se planter vainement dans notre dos, nos ventres, on finit par s'apercevoir qu'il s'agit bien pour la vallée d'une cuvette qui dans le plateau immense dont on ne sait pas où il s'arrête, il faudrait se documenter un peu, creuse sa marque presque similaire à celle que laisserait un pouce gigantesque enfonçé un peu dans la glaise du potier. Au fond ainsi, centre presque géométrique, est le village. C'est là qu'on va et c'est de là, donc, qu'on ne peut pas s'échapper bien qu'on tente une sortie à chaque fois que l'occasion qui nous y amenait est passée — toujours on y retourne, bille qu'on est dans son bol roulant au creux retombant pour toujours. Cela n'a pas de sens, on le sait bien, il suffirait de partir, et pour de bon cette fois, mais quelque chose nous ramène en arrière, le temps lui-même peut-être avec sa lourde cargaison de morts dont nous sommes issus, les livres en témoignent qui gardent traces des familles aussi loin que possible et disent donc que les nôtres de toujours ont été connues ici, et pas aillleurs, ici, ce qui signifie que la terre qu'on voit partout est faite forcément de ce que nous sommes et qu'en la regardant, donc, c'est soi qu'on regarde, et dans les yeux encore même si à l'heure qu'il est, ils se ferment de sommeil sur cette image, cette charrette chargée de milliers de cadavres qui sont de notre chair et nous attendent sur la place du village.