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Lieux #12

À détailler le spectacle, toujours le même, statique, à l'exception des moments où quelque fête paroissiale vient animer les lieux et faire se remplir la poignée de rues de gens et de voitures venus des alentours et la cour de l'école comme la place de l'églised'une foule étonnante de trognes pour certaines sorties directement des temps anciens, des temps que personne ici n'a pu connaître, on voit s'y superposer l'ombre grise, sale, d'une photographie découverte par hasard dans une boîte à chaussures et qui, prise après les bombarbements tapis de la dernière bataille, celle qui libéra le village en le réduisant en cendres, technique particulière mais se révélant en l'occurrence efficace, montrait depuis quasiment le même angle de vue les amas de gravats qu'étaient devenus les maisons d'avant, celles dont il ne restait donc plus rien que ces tas informes, indescriptibles en fait, qui seraient remplacés ensuite par les constructions qui sont maintenant le village, les maisons d'avant pourtant toujours là, présentes, vivantes, à leurs emplacements d'avant, exactement identiques mais invisibles, flottant dans les mémoires y compris de ceux, dont nous, qui n'en avaient jamais franchi les seuils, parcouru les pièces. Dans le même lieu alors, le même temps, on voit bien que quelque chose se passe qui fait que le temps se croise lui-même, nous emprisonne, et la scène pourrait durer indéfiniment avec toutes ces histoires se poussant les unes les autres du coude si une voix dans une autre pièce, celle donnant sur l'arrière et qui est la cuisine, n'appelait pour dire que le souper est servi. Il est moment alors de s'ébrouer, de faire tomber des yeux qu'on a écarquillés un passé qui ne passe pas, de passer à table. Il faut s'asseoir, la soupe est chaude, il y a du vin qu'on devine robuste dans les verres déjà. Bon appétit est la seule phrase maintenant autorisée. On la prononce, et on se tait.