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Lieux #18

Du fait de la technique redoutablement efficace d'écrasement total utilisée lors de l'une des dernières guerres pour réduire la résistance de la petite poche de combattants s'accrochant encore au pauvre fatras que devait être le village d'avant, village dont on ne sait rien mais qu'on imagine, reconstruit à partir de bribes tirées des paroles de vieilles personnes presque toujours assoupies au coin du feu, de peu de choses, l'endroit maintenant est d'une remarquable uniformité qui le ferait presque passer pour un décor de cinéma si l'alignement des maisons n'était percé de loin en loin par quelque vieux hangar aux planches disjointes, aux tuiles balbutiantes, à l'ombre grise dans ce qu'on voit par les portes qui paraissent trop hautes jusqu'à ce qu'on se souvienne de ce qu'étaient alors, telles qu'on peut les voir sur certaines photographies, les charrettes de foin. On n'y entre jamais, c'est lieu étrange et autre temps qui se posent là et l'on craint trop vraiment en franchissant ces seuils de n'en ressortir pas ou alors dans un autre temps, le temps d'avant qui pousserait ici quelque signal, une entrée dérobée, un piège pour nous avaler. De loin méfiant on reste alors à écouter le bruit des bêtes dont on distingue les flancs comme on verrait un rêve, à peine croyable de tiédeur et de mystère évaporé sitôt qu'on y porte la main.