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Lieux #11

La maison, qu'on peut dater précisément parce qu'elle a été contruite en même temps que toutes les autres dans le village quand il a été temps de revivre pour ceux, celles qui pouvaient encore après le rouleau compresseur de la guerre, la dernière, est pourtant de ces maisons sans âge connues de tous parce que c'est une maison à tous dans laquelle des meubles qu'on connaît par coeur mais qu'on ne penserait pas à acquérir, qui seront pourtant un jour dans nos appartements, nos maisons à nous, après des enterrements, des notaires, des testaments qui nous en feront propriétaires, puis des tergiversations qui nous empêcheront de nous en défaire, craquent comme s'ils profitaient qu'on leur tourne le dos pour se moquer de nous. Elle a été gagnée sur l'espace d'une de ces granges qui ont été de mode dans le grand moment de la renaissance et qu'on flanquait aux côtés ou derrière les maisons d'habitations flambant neuves, toutes rigoureusement identiques ou quasi, alignées le long de la route qui tranche le village, ce fruit mûr, en plein dans son milieu : une fois les familles relogées dans ces premières habitations, une fois les années passées, les couples faits et les enfants nés, il a souvent fallu trouver de nouveaux espaces pour loger ce grouillement relatif et, l'agriculture diminuant comme les besoins de hautes granges avec, on s'est évidemment tournés vers ces dernières qui là, mine de rien, attendaient toutes timides que quelqu'un les remarque, vienne les anoblir.