Lieux #31
On vaque et c'est inhabituel tant qu'il flotte dans l'air ce parfum de jours étranges qui fait courir les enfants. Les rares à en avoir encore se sont occupés de leurs bêtes plus tôt ou plus tard, c'est selon, tout dépend de s'ils étaient couchés avant la minuit ou s'ils viennent seulement de rentrer de la beuverie qui les a tenus éveillés un peu comme ces nuits où il faut attendre que mette bas la bête mais là au moins on ose somnoler comme on peut sur quelques bottes de paille jetées dans un recoin alors que pour le réveillon il faut tenir les yeux ouverts, brailler encore et puis encore, faire comme si cette fois-là quelque chose différait du grand chambardement de dominos que font les jours quand ils tombent dans la fosse sans fond du temps mais tout le monde sait bien que non, c'est occasion seulement de gueuler et de se saouler tous, on oublie mieux dedans l'ivresse. On vaque donc, c'est juste le jour après, rien n'a vraiment changé, les rues resteront vides jusqu'avant midi, les femmes rangent les tables ravagées, on sait qu'à l'heure de l'apéritif commencera la ronde des groupes plus ou moins réveillés dessaoulés passant de maison en maison souhaiter la bonne année selon un ordre rituel complexe, une préséance, des habitudes où se mêlent les âges des visiteurs et des visités, les relations familiales, les amitiés, le voisinage, tout cela sans cesse bougeant, les morts mettent là-dedans un vague bazar en rebattant les cartes à chaque fois, chaque mise en bière, un chien dehors passe comme s'il fuyait, au coin tourne maintenant le premier groupe, leurs yeux sont de brouillard, la journée va être longue et cette année derrière de même.