Lieux #17
Lors des visites règne toujours une agitation dont on se demande dans quelle mesure elle est générée par le fait justement de la visite, par elle seule. Les portes claquent, la sonnette sonne, des verres sortent des armoires où ils font légions, sont remplis, vidés dans un même mouvement ou presque, disparaissent dans les éviers, on les lavera plus tard, ils le seront on ne sait pas quand mais on n'a pas souvenir de les avoir lavés qu'on les retrouve déjà rangés en une parade étincelante sur les planches de bois rude épais des étagères, les manteaux s'amoncellent sur les fauteuils du salon, c'est la cuisine qui sert de lieu unique, on y reçoit et on y mange et on y vit, une autre pièce sert à mourir, il faut toujours séparer les fonctions même dans ce pays de terre noire, les derniers visiteurs sont à peine partis que d'autres silhouettes apparaissent dans l'allée, parfois même dans le couloir, tout le monde sait que les portes sur les côtés des maisons ne sont jamais fermées et qu'on peut librement entrer par là pour peu qu'on soit animé de bonnes intentions et si possible porteur de quelques nouvelles, d'une douzaine d'oeufs, de rien que du droit immémorial de pouvoir faire ainsi, et pas autrement. C'est une routine. On imagine la même chose lorsque l'on ne regarde pas, qu'on est ailleurs, de l'autre côté du pays, ou peut-être la rue est-elle vide, traversée seulement à un moment de l'ombre petite, penchée, que fait une vieille dame emmitouflée dans sept couches de laine et qui traverse sans regarder, elle est chez elle, elle fait tout ce qu'elle veut.