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Lieux #41

Ce sera la même boutique, on ne s'y attendait pas, rien n'a vraiment changé sinon le propriétaire un peu empâté maintenant et les outils qu'il utilise animant un énorme écran qui sans doute a remplacé les bacs où se révélaient les visages, on ne sait pas vraiment, on imagine qu'ils étaient quelque part alignés dans une chambre obscure dont l'ampoule rouge devait briller peut-être tard le soir, la nuit, à l'étage, dans l'appartement au-dessus du magasin dont les fenêtres, les rideaux, laissent supposer. Pour le reste, les portraits sont toujours les mêmes ou presque mais il est fort probable que ceux qu'on voit là poser dans leurs plus beaux atours, le costume du mariage, celui de premier communiant puisque c'est encore un évènement qui marque une porte, sont les enfants de ceux qu'on a connus, croisés sur les bancs de l'école, le collègue plutôt là-haut se défaisant à présent sur le haut de la ville dans son métal maintenant triste, il l'était déjà tant il y a toutes ces années, cette mode de conception, on comprendrait ensuite qu'en cas d'incendie tout brûlait en prenant au piège les enfants, ce n'était pas arrivé pour celui qui continue une lente décrépitude, il faudrait y entrer pour retrouver les couloirs sombres mais quoi, qu'y faire aussi, marcher dedans ses propres traces, on se perdrait sans doute alors on examine les sourires à la parade dans tous les coins, on attend et on cherche, le photographe dans la petite salle du fond est en clientèle, on l'entend exhorter au sourire, des rires viennent et c'est à croire qu'il cueille des grimaces, on s'étonne un peu de voir aussi parfaitement encadrés quelques chiens, pourquoi pas après tout, on se construit les icônes que l'on veut, l'homme revient maintenant du fond mais il ne nous reconnaît pas, il prendra le ticket attestant d'un dépôt, livrera dans la semaine les tirages, il faut encore parfois du temps pour construire des images qui resteront bien après nous, c'est à cela qu'on pense en ressortant dehors dans le soleil éteint d'une petite ville morte où l'on traînait jadis sans deviner qu'on partirait pour revenir, c'est à cela qu'on pense, aux visages sur les murs, à celui qu'on sera.