Lieux #29
C'est un pays où l'érosion des rites anciens, leur remplacement par ceux qui viennent, sont déjà là en fait mais ne se laissent pas encore distinguer d'autant que l'on cherche par prudence à rester collé à ceux d'avant qu'on a vu déjà se dérouler, se déplier, nous sont connus intimement, est un peu moins rapide qu'ailleurs sans doute du fait du relatif enfermement de la vallée assurant une imperméabilité temporaire de l'endroit, de ses pratiques, à la marche du monde. Là aussi donc, on voit les couches, on distingue dans les manières de faire, de naître, de marier, de mourir, d'enterrer, ce qui ressort des temps d'avant, de ceux de maintenant, ce qui devient à partir des deux le temps présent dans le mélange qu'il fait des gens comme des gestes. On pousse alors la porte, on sent ce parfum capiteux qui est de cire, de fleurs et de chairs corrompues déjà, on n'oublie pas cette odeur-là, on la reconnaît même la première fois qu'elle vient en travers de nous, elle est inscrite sans doute aucun dans nos gènes, il faut se retenir pour ne pas tourner les talons, refermer derrière soi cet huis qui est une pierre tombale ou presque, il faut se forcer à entrer pour jeter sur le cercueil l'eau bénie à l'aide de ce rameau nageant une brasse sans fin dans le bénitier improvisé, on a reconnu un ramequin de dessert, puis saluer les personnes autour assises recroquevillées en raison du froid ou de la douleur, c'est la même sensation quasi, s'asseoir aussi, attendre, attendre on ne sait quoi, certainement que la bienséance nous permette de repartir puisqu'il semble inutile d'attendre autre chose, le mort ne se relèvera pas, n'est pas Lazare qui veut et de toutes les manières, personne ici n'oserait lui intimer le commandement de se lever et de marcher, qu'on imagine, si cela fonctionnait, l'ordre des choses s'effondrerait, il vaut bien mieux ne rien tenter et puis se taire et puis faire sembler de prier, on marmonnera, ça suffira à donner là le change, c'est ce qu'on fait, et ça suffit.