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Lieux #10

Il est tard maintenant. Dehors, c'est son propre visage qu'on voit se refléter dans la vitre parce qu'on a fini par arriver, prendre le dernier virage qui juste au niveau du cimetière fait une bascule surprenant chaque hiver le pressé qui finira sa course au fossé, rarement avec plus dégâts que quelques tôles froissées raclées sur les bords de la boue, la courbe traîtresse se faisant aider de plus par le verglas quand elle le peut pour déclencher quelque accident, rien de méchant le plus souvent, donc, juste de quoi maintenir une tradition permettant de sortir le tracteur pour aller remorquer l'imprudent, lui faire la leçon, le regarder repartir mais doucement cette fois, chat échaudé etc., ralentir devant la maison toujours connue, sortir de l'auto, tirer du coffre les sacs qui sont ce qu'on emporte de soi lorsque l'on craint un peu de se perdre soi-même, remercier le conducteur, sonner, dire de très haute voix ce "c'est moi" qui n'a nul sens au fond, monter les escaliers, embrasser tout le monde même si c'est de moins en moins de monde, se débarrasser des vestes, pulls et autres couches à présent superflues, se coller au radiateur bientôt brûlant nos cuisses, regarder la rue où ne passent plus que des chats, des ombres qu'on ne parvient pas à identifier, la nuit qui marche et va mystérieuse vers le fond de l'étang peut-être, on pourrait dire sûrement.