Lieux #33
Les tablées sont immenses, c'est encore ce qu'on a trouvé de mieux pour lutter contre la faux dehors et dedans, lui opposer une masse qu'elle mettra plus de temps à réduire, lui donner à couper non pas deux jambes mais des centaines, ça n'arrêtera rien mais ça ralentira, on va dire ça, on aligne des visages le long des assiettes des couverts, ça parle et puis ça hurle mais c'est seulement parler un peu plus fort que le voisin et puis le vin a réchauffé le dehors le dedans pendant que la buée prenait son temps pour repeindre le monde de l'autre côté des fenêtres immenses de gris, on ne voit plus que les halos que font les réverbères, les ombres que sont les fumeurs, il y a toujours des chaises vides même quand tout le monde est assis et que ça commence, on a compté trop large, on attendait peut-être ceux qui ne viendront plus, on a essayé de les attirer, de faire comme si, les chaises resteront vides et même si l'un ou l'une des invités se pose dessus quelques minutes après quand le grand chambardement des discussions aura commencé elles resteront des chaises vides, on le sait bien, elles servent à ça, marquer dans les lignes qu'on fait les traces de ceux tombés, c'est un combat, c'est grande bataille, on connaît ça, on ne gagne jamais mais on se bat, les plats arrivent, il faut manger, personne ne lutte ici le ventre vide.