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Cinquante #16

Cinquante #16

Le jeu était de repousser au maximum l'échéance, on sentait que ça ne durerait plus très longtemps et comble d'ironie, ça cesserait juste après que ça se soit fini mais là, le moment était venu, départ de M***, la traversée du pays en entier, le TGV qui au presque bout du périple se traînerait bientôt comme une limace sur une voie devenue unique, les autres trains se garaient sur d'antiques zones de garage pour laisser passer cette nouveauté, je n'avais jamais vu cela, là-bas la gare était au haut d'un long chemin, nous étions attendus, le premier camion camouflé, on ne voyait que lui en sortant dans le vide, embarquement de suite, de là ne plus parler et sentir pendant quelques jours qu'on se perdait dedans, les cheveux rasés ras le survêtement bleu l'uniforme pour tous participant du lavement de nos cerveaux, on passerait quinze jours dans la caserne haute à faire n'importe quoi, apprendre à marcher tous au pas, apprendre à tenir un fusil, apprendre à nettoyer le sol, apprendre le tir au revolver, assurément toutes choses fort utiles, après viendrait la caserne basse, son musée plein de morts dont il ne restait que chemises maculées de sang brun lettres froissées photos jaunies et tristes, sa bibliothèque pareille où personne jamais n'entrait, pour le musée quand même ça arrivait, et puis de très longs mois emplis de riens, les copies mensuelles, une routine sans cesse, lire pour passer le temps, cela au moins ne manquait pas, le temps coulait de tous côtés tartiné large d'ennui.

Pour y être repassé de pas longtemps rien n'a changé à part peut-être maintenant les grilles ouvertes au vent, je me souviens de ma surprise lors du voyage récent, c'était tout un hasard, passer tout près souvent et puis se dire tiens il suffit de quelques minutes alors sortir de l'autoroute et retrouver la petite ville en toujours agonie, c'était déjà la même, la maison basse sur la droite c'est un poste de garde, souvenirs de nuits passés à faire comme si on ne s'endormait pas assis à la table minuscule, le rond de la lampe basse, la ronde toutes les X heures avec instructions de ne pas être réguliers, le silence de la nuit et la loupiote clignotant morte de piles, marcher dans le grand rien pour n'y faire pas grand chose, je crois que ça résume.