Aller au contenu principal

Fossile #15

Fossile #15

Une différence encore est dans nos corps, dans ce que l'on peut en voir, ce qu'on devine surtout qui s'est dedans passé, cette fonte, ce lent délabrement, l'infime travail de sape qui à chaque heure entre maintenant et là a fait son oeuvre qui n'est pas une grande oeuvre mais est destruction lente, patiente, têtue, un animal, une bête qui fouille et dérange tout en avançant son groin dans le sol meuble, y laisse ses traces, elles ne partent pas. Quand je me place, moi le petit homme endimanché, étonné, devenu plus grand et qui commence doucement à se voûter mais c'est la loi de l'univers, devant une glace, ce qui me frappe, ce sont les genoux, qui sont sans doute l'une des plus laides parties d'un corps et qui malgré ce qui précède, que je viens d'écrire, sont demeurés les mêmes, un bricolage, une sorte d'échafaudage qui fait tenir comme il le peut le reste debout. Certes, il y a quelques cicatrices de plus, le petit homme, s'il sait certainement à peine marcher, n'a pas encore pris le temps de tomber à genoux, cela viendra, lui laissera ce que je porte de marques minuscules qui sont peut-être des inventions mais à part cela, l'ensemble est même, osseux, rugueux, on dirait des morceaux de bois mal assemblés, cela ne ferait pas la fierté du menuisier, on lui connaît de plus belles réalisations et c'est lui, aussi, qui assemble les cercueils — le bonhomme les verra un jour, beaucoup plus tard, debout dans l'atelier, ou on lui racontera. Cela dérange je ne sais quoi en dedans moi, cette persistance des os qui changent sans se changer, on reste toujours soi, je crois que c'est ça que raconte cette petite image, et puis les genoux dessus.