Fossile #6
Si après la séance c'est dans la vieille maison qu'on va, je sais comment elle est, elle n'a presque pas changé si ce n'est sur son devant cet espace qui organise le battement avec le reste du monde, son souffle rauque, et qui a été modifié un peu, disons aménagé de manière plus moderne, depuis le temps où le tout petit homme allait partout de blanc vêtu (rien n'est moins sûr mais on peut bien l'imaginer, tout ceci n'est qu'histoires, je raconte comme je veux et tout ce que je veux). On y monte quelques marches qui devaient paraître immenses au bambin avec ses jambes à peine dégrossies jusqu'au jour où il parvint enfin à sauter de leur haut en bas, je m'en souviens très bien, il n'y en a que trois ou quatre, c'était un immense bond, je ne suis pas tombé et je garde encore intacte cette incroyable joie-là. Une fois le couloir pris, on entre dans la grande pièce, il y de très vieux meubles, ou des meubles récents qui ont l'air de vieux meubles, font comme s'ils en étaient, et ne sont que copies. Un vieillard est assis, il attend on ne voit quoi, sans doute la soupe à venir qui arrivera le soir, une soupe d'oignons rôtis avec un peu de beurre jaune, puis on allonge d'eau tiède, il ne mange que cela chaque soir que Dieu fait, il dit que c'est secret, qu'il ménage sa monture, cela ne marchera pas parce que si je compte bien, quand le cliché est pris, pour ce qui est du vieux, il ne lui reste même plus à vivre les cinq doigts de la main qu'on voit sur l'image et qui est la mienne et la sienne et celles de ses fils mais pas seulement, cela fait beaucoup d'hommes pour une si petite main et même pas cinq années pour lui, le vieux avec sa soupe et le verre rouge qui terminera dedans l'assiette, il paraît que c'était coutume courante, je ne l'ai jamais vue que là, et j'étais trop petit pour bien m'en souvenir, pourtant je m'en rappelle vraiment, tout ça est très étrange, ne nous arrêtons pas.