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Fossile #12

Autour si je compte bien, si j'ancre bien l'image dans son terreau de temps, les années soixante-dix vont commencer, elles s'approchent doucement, l'été soixante-huit qui a ébouriffé tant de monde et fera pousser les cheveux le long de la décennie vient de se terminer à peine, je gage qu'il n'y a eu dans le village autour de l'église dont on distingue les pierres lourdes aucune barricade et que les informations finissant à la radio, au bas des pages du journal, on se regardait accoudé au comptoir en hochant la tête, en haussant les épaules, à se demander ce qu'il leur prenait donc à eux là-bas dans les grandes villes et à la capitale de faire n'importe quoi, de se battre comme des chiens avec les gardiens casqués et masqués dont confusément, on se sentait plus proche que de ces chevelus gavés de lectures qu'on ne ferait jamais. De ces années-là, les soixante-dix, le petit homme en blanc ne sait encore rien et quand elles se seront passées, il n'en aura que vagues souvenirs, elles seront tombées pour lui dans ce marécage où se perdent les premières années, les sensations, ce qu'on voit là sans en garder d'image, c'est triste de penser finalement que toutes ces heures auront coulé pour rien, n'auront été que les alluvions oubliés tout au fond de la mare, ceux justement que l'eau n'agite jamais, ceux qui cachent les fossiles, c'est triste mais c'est cela aussi qui permettra la suite, la fouille eau aux genoux, cette quête qui n'a pas réellement de nom mais est une part d'écrire, cette recherche dans laquelle on se cherche, et pas grand-chose d'autre, que soi debout dans le silence que prend le temps quand on l'arrête.