La persistance #13
Dans la ville les rues sont vacantes presque de toute présence. Quelques passants occupent les lieux, font exister ce qui serait, sans cela, un décor inutile. De longs alignements d'immeubles haussmanniens dont les façades ne laissent rien deviner derrière leurs volets clos, les rideaux lourds que leurs occupants pousseront plus tard. Ou pour certains, jamais, qui vivent dans la pénombre de leur appartement dans lequel ils errent, perdus. Dans leurs souvenirs, une attente infinie, le purgatoire ou même l'enfer où ils sont enfermés. Entourés des photographies qu'une vie passée a semé de toutes parts. Les entourant d'une petite foule silencieuse, immobile toujours. Presque attentive à eux, ces ombres recluses dont on dirait qu'elles s'effacent chaque jour un peu. Dans la présence du rien qu'elles portent ainsi qu'on porte un bagage trop lourd sur les quais de la gare. Qu'on ne peut se résoudre à laisser posé au coin d'un pilier pour aller de l'avant. Un bagage trop lourd et pourtant vide.
Quand ce ne sont pas les fenêtres de ces lieux vides, abandonnés. Tels qu'il en est dans toute ville. Les occupants sont maintenant loin. Partis vivre ailleurs, parfois sur d'autres continents. Laissant derrière les lieux et les objets tels qu'ils étaient le jour du départ. Exactement. Saisis d'effroi, ou juste par le hasard. Le temps qui s'installe là tel un squatteur sans foi ni loi. Prenant ses aises, ne laissant aucune trace. Sinon la mantille des poussières qu'il dépose patiemment sur toute chose. Et qui s'étend, mois après mois, et s'épaissit. Devient un voile de veuve gris noir. Sur lequel marcheront ceux qui un jour ouvriront à nouveau la porte. Héritiers ébahis, exécuteurs. Dont les pas lents, prudents, seront de ceux qu'on a lorsqu'on entre dans le siècle passé. Et qu'on retrouve entre quatre murs ce parfum inconnu qui est celui, figé, des respirations laissées par les morts.