La dispense #13
[...] à chaque passage chrono le prof nous encourage et même à moi il dit surtout ne lâche pas quand ce que je voudrais c'est tomber raide mort pour que ça cesse enfin, il serre dedans sa main le cercle argent lanière qui tient les rênes du temps, surtout ne pas penser, ne pas étouffer, je cours comme je peux et une nouvelle fois encore, venant de par l'arrière, me dépassent les sportifs, ceux toujours devant, ils viennent de me prendre un tour, peut-être deux, c'est comme si chaque seconde devenait une heure entière puisque j'ai au côté un poignard lancinant fouaillant je ne sais quoi que l'on a là-dedans, rien de vital sans doute, je crois que voilà les dernières secondes mais le prof hurle encore six minutes les gars et là c'est la piste qui part marche arrière, ce doit être un cauchemar, plus rien n'avance malgré ma course folle, du moins je l'imagine, le record du surplace est certainement pour moi, il y a dans ce moment un condensé de toute une vie, le sombre et gris décor, courir sans avancer, je finirais marchant et délivré enfin au grand coup de sifflet, j'irais dans l'herbe tomber, la terre est dure humide, mon dos est tout contre elle, là-haut passent lourds légers des nuages blancs crayeux, quand le bac viendra, je n'aurais accumulé aucun point d'avance mais cela ne change rien, mon corps sera toujours seulement un vague ennemi.