La dispense #2
Aussi je vois minuscules vu d'ici, depuis mes cinq mètres, des visages tournés vers moi, ils sont des ronds mais pas dans l'eau, je ne distingue que leurs yeux et puis leurs bouches ouvertes tout autour du rectangle blanc et bleu alignées presque en rang, des bouches ouvertes hurlant encouragements et moqueries et vannes qui mélangent les deux, parfois aussi il y a des bras en haie d'honneur et même plus bas encore tassés de par la perspective des orteils crispés au rebord du carrelage, les maillots de toutes les couleurs forment un arc-en-ciel écrasé mouvant, plus loin aussi il y a d'autres groupes sur l'autre côté du grand rectangle mais ce sont d'autres classes, des inconnus ainsi, des garçons seulement puisque le lycée est technique et n'accueille quasiment que ce sexe-là même si parfois on croise quelques rares filles et là il y en a deux ou trois parmi la masse des visages mais pas dans ce groupe-là, dans l'autre, de l'autre côté de l'eau, de la piscine, regardant maintenant ce qui peut justifier ce bruit énorme augmenté encore de la réverbération sur les grandes baies vitrées que nous faisons, enfin, les gars d'en bas parce que pour le moment, et cela va durer, je ne pipe pas mot, j'attends, j'écoute montant à moi la voix grave de l'enseignant portant plus que les autres et qui entreprend de me convaincre de me jeter dans cet espace immensément vertical où rien ne peut soutenir la chute des corps sinon un air saturé chlore dont je devine qu'il ne suffira pas à me faire voler malgré sans doute les gestes réflexes de mes bras qui ne manqueraient pas de se déclencher en cas de saut, lequel saut, à cette heure, n'est pas parti pour se réaliser bien que le prof a commencé doucement à hausser le ton, le regard qu'il vient de jeter sur la grosse horloge suspendue au mur lui indiquant qu'on perd du temps, ce qu'il n'a pas, les autres attendent derrière moi.