Fossile #14
Sa langue ne lui est pas encore venue, ni celle qu'il perdra très vite et lui restera en-dedans morte quand même, une chose dure, une noix impossible à briser, ni l'autre qui ne sera jamais la sienne vraiment mais après tout nos langues nous restent toujours étrangères qui se contentent de se servir de nous pour s'en aller ailleurs et devenir toutes autres, il est debout dans son monde sans langue, ce monde flou sans mot aucun qui est avant la langue, qui ne laisse aucune trace, pas un fossile, dont il n'y a rien à dire, ressemblant qu'il est d'une plaine sur laquelle on serait perdu en pleine brume trébuchant, ne sachant où l'on va ni d'où l'on vient, où l'on est, perdu, vraiment, dans sa propre histoire, il est dans ce moment précis dont il ne peut rester que des images extérieures à nous, des souvenirs qui sont des objets plats et lourds dont on ne voulait pas et puis qu'on finira par transporter partout avec soi à mesure qu'approche l'horizon, il n'a rien pour parler, il est là juste debout, et debout ce qui reste c'est cet indicible mystère qu'il est à lui-même, à moi me demandant ce qui se passe dans la petite tête coiffée parfaitement pendant qu'il reste debout dans sa propre présence qui est tout ce qu'il a et lui suffit à dire tout ce qu'il veut quand moi maintenant là, bien autrement armé, je n'arrive même pas à tenir cette langue ensemble.