Fossile #11
De ce côté-ci du temps, les choses changent maintenant vite et tellement qu'à la simple manière de se tenir, à ce qu'on porte sur les images de vêtements, de cheveux, de tissus, il est facile pour celui qui regarde de repérer la décennie dont date le cliché qu'on examinerait. Là pourtant, dans le cas nous occupant, on pourrait être presque n'importe quand, du moins s'entend, évidemment, après l'invention de la photographie. Hors cela, et considérant que ladite invention peut être datée des années trente ou quarante du siècle qui a précédé celui d'avant maintenant, je suis frappé de voir que rien n'ancre vraiment cet évènement, le jour où le petit homme est entré dans une sorte d'éternité sans le vouloir, sans même le savoir, dans une tranche du siècle. Sa vêture, son apparence, ce rien qui est dans les visages, les traits, l'apparence, et les raccroche dans les siècles, ne disent en fait pas grand chose et si je ne savais pas à quelques mois près quand nous sommes réellement au jour de cette image, je pourrais tout autant prétendre que nous nous trouvons dans les heures de la génération d'avant celle du bonhomme et qu'au final là debout, c'est son père que l'on voit ou peut-être, si l'on veut, son grand-père, et ainsi, en arrière remonter. On dirait bien en fait qu'il s'est passé une chose entre là et maintenant dans la marche du monde et que le temps est devenu en quelque sorte repérable, saisissable, comme si on l'avait affublé de marques qui ne trompent pas, comme si soudain les strates qu'il faisait très discrètement, ces anneaux cachés dans les arbres, étaient devenues visibles, et complètement, dans une impudeur terrible, une frayeur pour vous dire, une chose dont on ne trouve pas les contours en essayant d'en parler et dont on ignorait tout à ce moment, à l'instant bref où d'un appui du doigt quelqu'un a cloué sur le mur cet enfançon depuis suspendu dans ses limbes.