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Plis entre plis #4

C'est donc le choc en pleine face d'une langue qui vous renverse, une vague vraiment même si l'image est mille fois déjà posée, usée comme une lettre portée longtemps sur soi et dont les bords, les plis, en deviennent pelucheux, fins comme cette peau qu'ont les très vieux — cette image de vieillards n'arrive pas sur un hasard, elle me remonte de Triptyque et de cette figure de vieille femme de noir vêtue qui traverse le texte je crois, des livres il ne me reste que des rochers à peine encore émergés sur la mer, j'ai pourtant le livre juste là, je ne vais pas l'ouvrir, disons qu'il y a cette vieille femme marchant pliée en deux entre les pages, elle est toutes les vieilles femmes et celles que j'avais vu dans la vallée d'où je me suis sorti, et celles que j'y revois encore quand je retourne là-bas, ces femmes usées qui ne voient plus du monde que son sol, ces ombres à foulard noué, ces sortes de mystères — le cavalier aussi des Flandres est resté là, je ne croise jamais un cavalier sur son cheval sans repenser à celui de la Route, avec les années pour regarder en mon arrière qui font un matelas pour que j'y tombe il me semble que c'est ça, plus que la phrase, qui m'a bousculé réellement : il montait dans la houle des personnages qu'on aurait dit gravés dans la chair même de l'éternité, voilà que je me fais des phrases, j'en oublie le jeune homme debout l'épaule contre le métal gris de son rayon et qui halète et qui se perd, où est donc l'histoire dans ce fatras, il ne comprend plus rien, il a les cheveux longs et une chemise rayée de bleu et un imperméable, il se dit que cela ressemble à ça un étudiant de Lettres, il souffle ferme le livre et passe les portillons qui sonnent pour les voleurs et va prendre le bus de l'autre côté du pont qui le laissera à cet arrêt en face d'un marchand d'armes qui avait nom même que celui des deux frères dans sa classe au collège et puis là déposé par le chauffeur bougon il marche encore au droit le long de la rue étirée vers l'autre village qui a rejoint la ville, il pleut maintenant avec paresse, le jeune homme va d'abord plus vite et puis au diable marchons doucement au bout de l'avenue après le carrosier au feu prendre sur la droite c'est là à ras de rue qu'il a studio de la cuisine derrière on voit le manège aux chevaux ce soir malgré l'averse on devine la robe grise d'un qui tourne doucement le long de la clôture — le cavalier vous dis-je, le cavalier.

à suivre

Une première version de ce texte a été publiée

par l'Association des Lecteurs de Claude Simon

Merci à @cgenin pour l'invitation