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Plis entre plis #2

Je me souviens avant du jour de la soutenance, des deux de l’autre côté du bureau gris dans cette pièce étique en s'étirant on en touchait les bords, les murs blancs sombres à revêtement de granules, cela grattait les doigts, les blessait presque aussi, on aurait dit une peau plissée et puis très vieille, vraiment vraiment très vieille, sur la porte marron dans l'enfilade des bureaux il y avait je crois une carte de visite comme un papillon là disant les noms et les horaires, la permanence, on patientait dehors, c'était derrière une sorte d'antre et le savoir et ce jour-là un stress, les professeurs assis dos pleine fenêtre, j'ai image de ça, d'un bref moment d'éblouissement, cette lumière blanche grise qu'on a de par là-bas, les deux donc souriants, celui de droite mon directeur, son nom d'identiques initiales par trois enfilées perles, sa tête auréolée de cheveux blancs, sa tête coiffée d'une casquette-oreillettes quand il arrivait à vélo dedans l'hiver, ce vélo noir sur le trottoir garé, sa tête de bonhomie, sa tête de bienveillance, vraiment, la tête exactement qu’il me fallait pour y aller, oser, moi le fils de routier, oser continuer après cette licence dont je n'avais jamais pensé même l'atteindre, j'étais tombé tellement avant, les deux dos pleine fenêtre, à gauche ce linguiste, je n'en sais plus le nom, le prénom encore moins, je n'ai plus que l'image et elle s'efface aussi entre les murs si proches, c'est une image de sable, je distingue ses lunettes, cet air ébouriffé qu'il portait tout le temps avec cette sacoche qui date ces années, une banane je crois qu'on portait donc alors dans une sorte de mode, la mode des kangourous, il n'avait presque rien dit, posé aucune question quand leur tour était venu après tout mon laïus, ces phrases que l'on jette pour se convaincre un temps qu'on sait de quoi on parle alors que l'on invente, c'était je ne sais plus, mon mémoire de maîtrise, ou bien le D.E.A. qui est venu ensuite, tout a même saveur dans la distance du temps, il n'avait pas parlé ou j'ai tout égaré, ma tête est un maëlstrom, une lande rase de vent, ce dont je me souviens, c'est la phrase essentielle, Vous devriez lire Claude Simon — je ne savais pas alors de qui il me parlait pourtant j'avais noté et la gentille épreuve une fois déroulée, le rougissement passé, une nuit aussi peut-être, j’avais traversé le campus qui est une île, au vrai, dans cette ville où je ne suis maintenant plus, j’étais entré dedans la bibliothèque.

à suivre

Une première version de ce texte a été publiée

par l'Association des Lecteurs de Claude Simon

Merci à @cgenin pour l'invitation

illustration : Grey Newton — Taran Rampersad