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La dispense n°6

La dispense n°6

Pour le grand qui m'avait été octroyé, parce que c'est la première chose annoncée par le maître-nageur, qu'un Grand serait avec chacun de nous, sauterait à nos côtés, et disant cela il pointait du doigt un groupe d'élèves que de plus en plus apeuré je n'avais jusque-là pas remarqué, entassés en rang d'oignons sur les marches carrelées faisant aussi office de gradins, il m'est facile de m'en souvenir, c'était un pays, un du village, un de ceux, plus âgés, que je croisais dans les rues sans jamais oser lui parler, et qu'aurions-nous eu à nous dire alors, la différence d'âge, même minime, faisant que nous aurions tout aussi bien pu vivre dans des galaxies différentes qui soudain, là, dans les relents de chlore et le multicolore des maillots dont certains faisaient pâle figure, baillaient, s'entrecroisaient presque brutalement à la faveur des paroles du maître-nageur — le grand, le pays, je le croise encore, rarement, à la faveur des retours, au hasard des fêtes à flonsflons, des buvettes, des messes, des promenades, et je ne sais s'il se souvient de ce jour où il eut à me prendre par la main, comme le faisaient les autres grands des autres petits, pour m'accompagner, plutôt, me tirer vers le bord de la piscine, l'organisation prévue nous amenant à former une file partant juste entre deux des plongeoirs bas qui émaillent toute piscine se respectant, qui ne sont que de quelques dizaines de centimètres de hauteur, et s'étirant, la file, sur quelques mètres où se mêlaient, presque comiquement, les grands, les petits, les premiers, un rien fiers de leur responsabilité inattendue, valorisante, quoi, ils savaient nager, eux, tenant par la main les seconds dont ce contact, ce geste infantilisant s'il en est, rabougrissait encore le peu de détermination, de fierté, qu'il leur restait.