Tumulus #16
Il arrive bien que des amours naissent mais ils ne durent jamais longtemps, les hommes passent et ne restent pas, les femmes qu'ils rencontrent contre la terre ne font pas poids, elles savent bien que rien ne pourra retenir ces hommes aux mains râpeuses, elles tentent quand même cet impossible de les aimer tout ce qu'elles peuvent, ils ne sont jamais vraiment là et même en plein amour derrière la porte il y a toujours une respiration et c'est celle du chantier qui avance tous les jours et chaque matin la route en devient donc plus longue et puis un soir les hommes ne rentrent pas et les femmes ne les attendent pas, elles pleurent un peu dans le vestiaire et les oublient comme tout le monde les oublie et même les entreprises qui les employent quand il faut licencier, ce sont des hommes interchangeables, des pièces de la machine, eux-mêmes parfois ne savent plus qui ils sont réellement, s'ils existent vraiment, si ce visage qu'ils rasent dans la glace est bien le leur, si ce corps qu'ils usent n'est pas juste un outil qu'on leur a remis à la signature du contrat avec la paire de chaussures de sécurité, la veste de chantier à écusson de la boîte et le tee-shirt assorti qu'il ne faut porter que quand une inspection se fait, le reste du temps le tee-shirt est en boule au fond du sac et prend ses plis, il mine les visages, dans tous les sacs il y a ce même tee-shirt, et les gars ont tous même visage, ils sont outils de chair, c'est peut-être cela qui émeut tant les femmes.