Aller au contenu principal

Cinquante #38

Cinquante #38

Au plus profond dans les premiers lambeaux de ce qui fait mémoire, la digue d'abord d'herbe rase et puis on est dessus un béton granuleux aux rebords arrondis, au bas sont des roseaux se frottant lentement les uns contre les autres et sans arrêt froissant le silence du vert, des canards noirs sur l'eau flottent mollement comme s'ils étaient juste de plastique posés et puis au fond planté entre les arbres rideaux de part et d'autre d'une trouée mais loin un soleil blanc est en train de bleuir, on m'a porté ici parce que je suis tombé là-bas du mur à peine plus haut que moi, le bruit qu'a donné mon crâne sur le pavé je l'ai et pour toujours dans les oreilles et dans ma tête qui résonne là en boucle, un claquement sec très bref, après je vomirais et pour me faire sourire et puis se rassurer c'est à l'étang qu'on roulerait mais les bêtes sur le miroir jetées ne m'arracheraient pas un rictus, l'étape suivante serait le médecin chauve moustache rieuse puis l'hôpital et dans le service radiologie, on verrait la fracture du crâne, plusieurs semaines couché je resterais, je sais très bien encore qu'au retour maison je ne savais même plus marcher, mes jambes ne portaient plus le tout petit bonhomme qui grandissant après irait quand même plus tard souvent traîner tout auprès de l'étang, vous dire que juste pour le trouver, il faut entrer dans la forêt et puis ne pas rater les virages en chicane quand arrive la descente, avant il y a le déversoir qui porte depuis toujours le mystère des eaux dont on ne sait jamais ce qu'il y a dessous, je peux rester des heures maintenant à regarder l'écume.

Cela ne change pas et même l'eau sans cesse recommencée est toujours blanche et puis de cet argent qu'elle fait quand elle s'effondre quelques mètres plus bas, la mousse demeure noire aux grilles collée avec on ne sait quoi, des bras elle n'aura pas, parfois l'étang est vide et c'est seulement un champ vert et fouillis, je préfère de loin le voir empli, il pourrait l'être de nos souvenirs, ceux que l'on sait, ceux qu'on ne revoit pas parce qu'ils glissent dans le fond, poissons lisses et fuyants, voilà une métaphore qui ne vaut vraiment rien, laissons couler le temps et l'eau.