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Le voyage de Marcel P.

Il s'éveilla en sursaut, sans se souvenir de s'être couché. Comme à chaque fois qu'il lui arrivait de sombrer ainsi, un nuage de fumée avait à présent envahi la chambre, au point qu'il n'y voyait plus grand-chose. À dire vrai, il n'avait pas besoin d'y voir tant il connaissait intimement chaque centimètre carré de la pièce, le moindre détail des meubles, des murs, du plafond, des coins comme des recoins, les titres des livres lus ou simplement entamés puis délaissés, ouverts, voire marqués d'un pli, à la page où il en avait abandonné l'exploration, temporairement ou définitivement, ces derniers, qu'il ne prendrait plus en main, demeurant là ainsi que ces paquets d'algues que les marées venaient à oublier souvent sur le sable des grandes plages où il aimait à marcher, s'arrêtant parfois pour en suivre les méandres végétaux du bout de sa canne dans l'espoir fol toujours et vain d'y lire quelque histoire compréhensible de lui seul.

Il ne tâtonna pas une seconde avant de trouver le cordon de la sonnette pour le tirer. Quelque part dans le ventre de la bâtisse, à l'issue du mystérieux cheminement dudit cordon, de celui du mouvement qu'il venait d'initier, que Marcel s'imaginait traversant les parois comme les plafonds aussi facilement que s'il s'était agi pour le vent de courir sur les trottoirs de la ville qu'il sentait marmonner de l'autre côté des murs dans cette agitation permanente signant une grande capitale, Céleste allait entendre qu'il avait besoin de ses services et viendrait bientôt à lui. Cette certitude inamovible de la présence permanente de Céleste rassurait Marcel plus qu'il ne voulait se l'avouer, participant de l'une des rares sérénités qu'il se connaissait.