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Mânes

Lecture : Julie Labbé

Ce serait juste de l'autre côté du fleuve, presque à portée de bras, presque à portée de doigt. Prenant bien soin de demeurer à couvert, nous viendrions chaque jour nous pencher sur l'eau brune, nous nous glisserions tout au bord, aussi loin que possible, nous resterions sans fin à regarder doucement la vie qui demeurait là-bas où nous n'allions jamais, où nous ne pouvions aller, plus maintenant.

Ce serait juste en face et nous parviendraient très distinctement les voix et puis les rires, des bourrasques de souvenirs dont nous ferions récolte pour que la nuit ne nous avale pas complètement ensuite.

Chaque fois, nous nous demanderions à quoi pouvait servir l'embarcadère dont personne ne se souvenait plus de l'avoir emprunté mais que, nécessairement, nous avions utilisé avant d'échouer ici.

Chaque fois, nous serions là à attendre le passeur et les nouvelles mânes venant auprès de nous pleurer.