On transférait au dernier moment l'écrivain tiré au sort parmi tous les autres, tous ceux qui comme lui étaient maintenant confinés dans des campus (d'aucuns disaient prisons) spécialement construits pour eux et à eux réservés, et on le faisait entrer par une porte blindée située à l'arrière du dispositif public en prenant soin de lui faire porter sous sa chemise un gilet pare-balles de dernière génération.
Les badauds étaient tenus à distance, la plupart patientant depuis le matin en tenant comme un sésame le ticket portant leur numéro dans la file d'attente et l'exemplaire imprimé à la demande qu'ils voulaient faire dédicacer.
Le moment où l'individu ayant passé les divers sas et fouilles de sécurité se tenait à portée de main de l'auteur était statistiquement le plus dangereux : il était arrivé plus d'une fois que des kamikazes se fassent exploser à cet instant, certaines bombes ingérables demeurant totalement indétectables par les seules technologies légères relativement standards que l'on pouvait décemment déployer dans ces lieux grand public.
Par ailleurs, des gestes tels que ceux qu'on avait vus récemment — se jeter sur l'écrivain et lui sectionner la carotide d'un coup de dents ou lui planter son stylo dans le cerveau à travers l'oeil — restaient difficiles à contrôler, à moins de mettre fin à ces moments liturgiques dont personne pourtant ne semblait vouloir se priver parce que c'était les seuls qui permettaient de plus ou moins prouver que les textes que l'on s'arrachait sur l'Hypernet étaient réellement produits par des humains.
Pour permettre à tous de voir ce qui se passait, plusieurs caméras pointées sur les quelques centimètres carrés devant l'auteur envoyaient un signal vidéo vers des moniteurs suspendus haut au-dessus des têtes et sur lesquels on ne voyait le plus souvent qu'une main terrorisée tremblante attendant vainement l'inspiration.