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Langue maternelle (2)

Ce qu'il en restait, on ne le savait pas, on ne le sentait pas, jamais, peut-être parce que l'autre langue, celle de l'école apprise, était venue dessus, avait tout recouvert, tout envahi, nos souvenirs, nos manières de penser, jusqu'à ce que, touriste soudain dans un pays qui n'était pas le nôtre, proche pourtant, on s'aperçoive au beau milieu d'une rue, dans une ville dont on découvrait enfin le coeur toujours évité, contourné, que ce parlé, celui de là, de ce pays dont les armées avaient plusieurs fois brouillé les frontières, les dialectes, les vies, était en nous encore et qu'on était chez soi tellement ailleurs, de l'autre côté des limites (pas la même chose à dire vrai, pas tout à fait, mais même goût, même sensation dans les oreilles, à croire que les mots premiers venus premiers appris qu'on entendait encore dans les repas de famille, les communions ou les mariages, les enterrements parce que les vieux, eux, n'avaient jamais fait le chemin inverse, n'étaient jamais parvenus à sortir de ce dire-là ; à croire donc que nos premières phrases étaient restés collées de tout ce temps à nos palais, guimauves discrètes qu'on retrouvait à force de tourner dix mille fois dedans nos bouches nos langues).