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Boîtes à voix

Boîtes à voix

Nous avions partout nos voix. Là où nos pères emportaient les leurs dans ces boîtes en bois verni que nous retrouverions plus tard, après qu'ils soient morts, dans les greniers ; dans ces boîtes, donc, qu'on leur remettait au moment où ils devenaient adultes, et c'était preuve de ça, qu'ils étaient maintenant sortes d'hommes ; dans ces boîtes, ainsi, dont les couvercles levés révélaient un aligment parfait d'encoches prévues pour accueillir, chacune, une de ces voix et en assurer le transport en toute sécurité, ce qui n'était pas mince affaire en ces temps où eux, nos pères, couraient les chemins sans cesse au milieu des batailles et des amours, ces dernières étant souvent aussi acharnées que ces premières — là, donc, où eux avaient eu à transporter ces lourdes caisses, nous portions les nôtres, de voix, dans des flacons translucides qui devenaient avec les progrès technologiques chaque jour plus légers et fins, au point que d'aucuns mêmes, les plus avancés d'entre nous, commençaient même à se faire implanter ces réservoirs à même la gorge, juste dessous la pomme d'Adam, en les assortissant de mécanismes à même, soit de remplacer la voix originelle du porteur à tout moment, quelle que soit la situation, lui assurant ainsi à chaque instant le ton parfaitement adapté ; soit de déclencher, sur commande, un murmure apaisant audible du seul porteur (on utilisait pour cela les capacités vibratoires des os du crâne)