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Plis entre plis #3

Plis entre plis #3

Tout était à l'étage et lieu sans nul visage, une aire dont je peine même là à dire les frontières, les murs et les espaces, elle est mélange dedans de toutes celles que j'ai vues depuis, elle a été pourtant la toute première du genre pour moi, j'ai visions de rayons montant jusqu'aussi haut qu'ils le pouvaient, ça vous mangeait tout l'air, de même toute lumière, on était là-dedans piégé, un rat roi dans son labyrinthe, je n'ai jamais aimé cette sensation, je n'ai jamais aimé cette odeur de papier qu'on malmène de plusieurs à travers les années, ces pages annotées par d'aucuns, ces coins qui ont tellement soufferts d'être cornés avant d'être décornés qu'on voudrait les couper, il fallait pourtant passer là, chercher dans les rayons bleu sale gris blanc — un de ces gris mercure qui signe le silence — le livre qu'il fallait, comprendre d'abord quelque chose aux chiffres qui guidaient mais vraiment plus souvent ne faisaient que vous perdre, quelle idée tout de même de mettre des chiffres sur les lettres, parfois il n'y avait rien, que le vide d'un mur, ou un rayon soudain cessant sans grier gare, parfois aussi le livre était en magasin, une sorte de relique protégée des manants, je revois le guichet et les servants derrière, les billets gribouillés qu'il fallait leur passer, leur regard toujours parce qu'il manquait une lettre, je rougissais souvent, et puis une longue attente, on les voyait entrer dans le ventre sombre d'enfilades lointaines pour y trouver nos mots,

ce Claude Simon dont il parlait, nous y voilà, c’est au hasard la Route des Flandres et je m’engage dans l’incipit comme ça debout dans les rayons

 

à suivre

Une première version de ce texte a été publiée

par l'Association des Lecteurs de Claude Simon

Merci à @cgenin pour l'invitation