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La lampe du projo #2

Il y a eu alors la découverte des dortoirs, les lits alignés dans les boxs, les armoires bois scarifiées par les noms gravés dans des endroits qu'on ne voyait pas de suite, pas au premier regard, seulement quand on était couché sur les matelas où des générations entières de gars étaient passées avant. Il y a eu les douches alignées elles aussi le long d'un mur avec leurs rideaux plastiques en carafe tristes comme des jours sans pain, les lavabos autour sur les autres murs et puis aussi en une rangée, en plein milieu de la salle carrelée tellement froide avec son carrelage blanc qu'on pensait une banquise en y entrant. Il y a eu tous ces visages, tous inconnus, tous crispés puisque c'était le dortoir des secondes, les arrivants, les bleus bite, avec leurs traits dont certains deviendraient amis, étrangement familiers quand d'autres, la plupart, resteraient à jamais d'un flou irrémédiable dans ce présent de la rentrée, et dans l'avenir des trois années prévues pour le lycée, avant de tomber sans pitié possible avec tout le reste, la vie, dans la grande fosse du passé, elle-même floue, pour s'y fondre sans retour.

Il y a eu les draps dépliés, l'oreiller enfilé dans sa taie, les vêtements sortis des sacs avant d'être étalés dessus le lit puis rangés dans l'armoire en un alignement parfait qui ne durerait même pas une semaine. Il y a eu des gars en costume gris, portant des listes, passant partout, cochant puis recochant, comptant, raturant, gommant, rassurant les parents inquiets, jaugeant les arrivants d'un seul regard, les étiquetant gentil, à surveiller, emmerdeur, petit con, incontrôlable, idiot, lavette, et on ne saurait jamais où l'on était rangé dedans leurs têtes, et ils nous impressionneraient un peu ce jour-là avec leurs yeux presque vides, avant que plus tard dans l'année on finisse par remarquer que l'un ne foutait rien, que l'autre buvait tant qu'il pouvait, qu'on s'en cognait en fait d'eux tellement qu'on ne saurait jamais leurs noms, seulement leurs surnoms, ça suffisait pour dire du mal à leur sujet entre nous le soir manière de s'occuper pendant l'étude parfumée de nos pieds légèrement puants, de nos aisselles de même.