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Cinquante #28

De quoi passer une heure quand libéré de l'internat on avait traversé la ville grise froide humide qui est de celles qu'on croise là-bas et qu'on se regardait passant dans les reflets de vitrines peu à peu presque éteintes, on avait annoncé au pion que la sortie de la semaine ce serait maintenant, le temps était compté quand même et le lycée légèrement à l'écart du centre, il ne fallait jamais traîner, à preuve cette fois où avec un autre copain on avait oublié le temps et en rentrant nous attendant au haut de l'escalier c'était ni plus ni moins le proviseur, ce moment très étrange dans son bureau feutré, après il y avait cette place et la maison de presse, des rayons tous en long, entrer dedans sans grand chose dans les poches, traîner le plus longtemps possible, feuilleter tout ce qu'on pouvait se feuilleter avant que ne soupire le buraliste et que les minutes soient tombées, choisir un magazine, savoir que ça boufferait le peu de monnaie qu'on avait, réfléchir et deux fois, revenir puis rester là avec deux ou trois choix possibles glacés dans leur papier, se décider enfin parce qu'il le fallait, parce que cela fermait, payer et vite rentrer avec ce très grand froid qui descendait du dehors du dedans, cette impression de rien, de pas assez toujours, depuis très loin on voyait des lumières et c'était celles des études, on avait fait comme une révolution, entendre, partir et revenir, juste tourner en rond dans la ville où donc, aussi, on était né un jour.

Je vois qu'il n'y a plus l'enseigne bleue d'alors, la presse s'en est allée remplacée par le bio, c'était exactement au coin de cette rue, le boucher est resté, c'est le même qu'alors, on mange plus qu'on ne lit et je me demande bien ce qui entre ces murs, dans ce moment précis, a tellement pu se faire que je m'en souvienne tant, comme si dans cet endroit, dans cette petite routine, l'heure du libre de la nuit qui remontait l'avenue, il y avait eu le tout de ce que j'étais là et qui est toujours moi.