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KO Computers — Logabax

Tombant ce jour sur cette vidéo,
se dire "ah tiens, j'avais un manuscrit traînant qui parlait pas du web, mais des ordinateurs".
Le mettre en ligne, tel que, brut de décoffrage.
(Je suis à côté de la thématique du jour, mais je me raccroche aux branches tout à la fin).

Le tout premier que j’ai de mes yeux vu, c’était dans la salle d’informatique du lycée à S*, un objet à l’allure soviétique qu’on ne pouvait approcher que si le prof t’y autorisait et ça, pas avant de t’être avalé plusieurs heures longues durant lesquelles on te faisait un cours sur la machine et la manière de l’approcher, de lui parler, de la manier, exactement comme si ça avait été un outil dangereux ou quelque extra-terrestre vaguement belliqueux venu d’on ne savait où et qu’il convenait de ne pas malmener si on voulait éviter qu’il nous réduise tous en fumée.

Évidemment, durant tout ce temps-là, je n’avais d’yeux que pour les écrans noirs sur lesquels un caractère verdâtre clignotait lentement en me faisant de l’oeil comme une fille, de celles dont je rêvais toutes les nuits dans les dortoirs de cinquante gars où ça ronflait à écorcher l’obscurité et où souvent je cherchais le sommeil à me demander ce que je deviendrais – même aujourd’hui je n’ai nulle réponse alors en ce temps-là, tu imagines bien que tout futur tenait de la science-fiction.

La science-fiction, c’était bien ça où l’on plongeait à voir cet énorme monobloc dont le prof nous avait dit que c’était le premier Personal Computer à arriver dans le bahut, et ce n’était pas rien pour moi qui ces ans-là passait mon temps libre à avaler tous les bouquins du genre que je trouvais dans le minuscule CDI dont j’étais assurément le plus fidèle client (bon, évidemment, la documentaliste essayait de me fourguer les grands classiques, la Princesse de Clèves que j’ai trouvé tellement ennuyeux que je n’y suis jamais retourné y goûter et autres livres du même tonneau – sans doute qu’elle sentait en moi des dispositions au littéraire, va savoir, mais ça ne marchait pas vraiment, ses tentatives : je lisais tout, parce que j’ai toujours été un garçon poli, mais bon, sa Princesse, ça ne valait pas un bon vieux trip sur une planète complètement rêvée sur laquelle poussaient des tournesols géants). 

Du coup et pour une fois, je suivais le cours du prof qui au tableau nous parlait de système d’exploitation, de CP/M et d’autres trucs dont je n’ai plus moindre souvenir, ce qui tendrait quand même à prouver in fine qu’une cervelle est bien moins fiable qu’un disque dur, la mienne en tous les cas.

Ce qu’on a été autorisé à faire ensuite sur ces bousins, je ne sais plus non plus. Sans doute des choses basiques qui nous mettaient dans des états indescriptibles, comme faire lister au processeur les instructions qu’il comprenait, ou lui demander de quelle taille était sa mémoire vive, dont j’imagine qu’elle nous laissait comme deux ronds de flan. Sans doute ça, pas grand chose de plus, parce que quand même, ces bidules-là c’était déjà du dinosaure, du vrai, plastique et puis ferraille et une alim énorme pour faire tourner tout ça et n’en faire pas grand chose finalement sauf l’autre-là, un escogriffe tout chevelu et totalement barré qui épatait la galerie avec ses programmes secrets qu’il bricolait sur des blocs-notes quadrillés qu’il ne nous laissait jamais lire, et qu’il faisait avaler à la machine avant de les lancer, de reculer sa chaise et de nous faire « Et ben voilà » pendant qu’on s’extasiait de voir son truc génial : le mec te faisait tourner à l’écran un cube vert fil de fer tri-dimensionnel dans tous les sens, et nous aussi on en tournait d’ébahissement, et même qu’on pensait tous que c’était un génie (jamais su ce qu’il était devenu puisque fin de seconde, il est parti dans l’autre bahut de la petite ville faire une première H, de celles qu’on avait créé à l’époque pour former des informaticiens, et qu’on ne l’a jamais revu — à l’heure qu’il est il est peut-être mort ou riche ou rien ou peut-être qu’il est devenu un de ces geeks à barbe-pizza qu’on croise parfois et pour lesquels le monde tient tout entier dans des lignes de code — je suis bien loin de ça).