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KO Computers — TI XX

Ensuite, quasi à la même période, toujours au lycée mais un peu plus tard, je me suis payé, sans doute avec l’une de mes premières payes d’été gagnée à peindre des kilomètres de murs en blanc ou en saumon, ce qu’on appelait pompeusement alors un ordinateur personnel portable, en fait une calculette évoluée qui avait pour principale particularité d’offrir, en plus du clavier numérique qu’on commençait à bien connaître, nous qui bouffions de l’équation à longueur de temps, un second clavier alpha-numérique permettant d’entrer aussi dans la machine de minuscules programmes dans un langage alors tout nouveau, au moins pour nous, le BASIC (roulements de tambour).

Ce truc-là venait de chez Texas Instrument et rien que ça, Texas Instrument, ça te posait un homme, ça faisait scientifique, blouse blanche, stylo qui dépasse de la poche et longs listings qui traînent par terre, ça inspirait confiance, ça m’inspirait confiance, j’ai cassé ma tirelire, la pauvre, elle a été décidément plus souvent vide que pleine.

Evidemment, la TI disons XX (j’ai eu beau chercher, impossible de retrouver la référence de l’objet, son nom exact — ne pas nommer les choses, c’est triste quand même mais bon, quand on ne trouve pas, on ne trouve pas et puis XX, ça a un certain chic, on dirait une machine secrète, un prototype jamais sorti des labos enterrés des services secrets), ça ne servait pas vraiment à faire grand chose et évidemment, je me suis aussitôt lancé dans un programme destiné à calculer les nombres premiers, tu sais, ce genre de nombre bizarre, « entier naturel qui admet exactement deux diviseurs distincts entiers et positifs (qui sont alors 1 et lui-même) » (oui, c’est Wikipedia qui dit ça).

Imagine le truc : je me prenais pour un génie (ça me passerait assez vite), et de l’informatique, et des mathématiques, et j’étais persuadé que mes petites lignes de code me vaudraient bien la médaille Fields et puis même le Nobel — en fait de maths, j’ai planté par deux fois mon bac, juste pour te dire –, ce qui fait que j’ai passé plusieurs jours à écrire ce programme totalement idiot qui prenait chaque entier, le divisait par tous ceux qui précédaient, et n’avait que deux sorties possibles : soit à un moment, on trouvait un diviseur autre que 1 et le nombre, et ce n’était pas un entier (le programme passait alors au suivant, et reprenait ses divisions — qu’est-ce que c’est con, la vie d’un programme à la con) ; soit on ne trouvait rien, et arrivé au nombre lui-même, on savait qu’il était premier. Une révolution, je te dis.

Bon, vu les capacités de la disons grosse calculette, tout ça prenait rapidement des heures et puis des jours, à boucler toujours les mêmes calculs et à mesure que la valeur des nombres testés grandissait, et ça m’a vite lassé : c’en était terminé de ma carrière de génie. ça tient à peu de choses, quand même, un itinéraire.

Là, j’ai revendu la petite chose de métal brossé, avec l’imprimante minuscule qui venait se greffer sur le côté et sur laquelle je pouvais imprimer mes programmes géniaux. L’acheteur, c’était un gars du village dont j’ai maintenant perdu toute trace : j’espère pour lui qu’il ne travaille pas sur les nombre premiers, parce que je peux lui dire qu’il n’y a pas grand espoir de changer la donne dans ce domaine, du moins avec cette machine-là, j’en suis la preuve vivante.