Tumulus #12
Pendant qu’on parle ici ailleurs le chantier fait son trou et grave dans des paysages jusqu’alors restés intacts ou presque, disons légèrement éraflés par les hommes au fil des siècles, un large sillon de terre retournée qu’on voit même de très loin, du haut des bourrelets que fait cette vallée immense s’inscrivant dans un réseau de plusieurs se rejoignant, s’éloignant au gré de contraintes géologiques dont on ne parlera pas ici, cela n’intéresse pas grand monde ou plutôt, la plupart n’y comprend rien, ne parvient pas à lire dans ce livre de rocailles et de glaise grasse, de couches, d’éternité de temps à l’échelle des petites choses qui à la surface s’agitent, grattent le superficiel de la grosse boule, avancent chaque jour un peu plus en laissant derrière d’autres perspectives, de nouvelles manières de vivre, la route qui vient change déjà tout et pas que la forme des lieux, elle renverse les distances et modifie les heures, c’est tout un tremblement qui commence à sa pointe, sur ce front de creusement où alignées des grues jaunes et puis noires avalent des tonnes de tout pour les cracher derrière sur les dos plats rayés des lourds camions dont on ne sait jamais ce qu’ils en font, de toute cette terre, elle sert peut-être à continuer le monde plus loin, à construire un polder dedans le vaste espace qui pousserait la planète vers d’autres extrémités, c’est comme un rêve, revenons au vrai, à la couleur de la tranchée et à ces pelleteuses énormes qui chaque coup de leurs dents larges découvrent les dessous du dessus, cela fascine, il y a toujours sur chaque chantier des hommes spectateurs qui stagnent et du bord des barrières restent ballants le long du jour et puis regardent tous fascinés ce qu’il y a dessous tout ça, le plus souvent, pas trop grand chose, des racines blanches, et rien de plus.