Chasse

Tout commença pendant la grande récession du début du Siècle, bien que personne à ce moment-là ne se rendit vraiment compte des conséquences de ce qui passait encore pour une crise économique de plus, de celles devenues habituelles et qui finissaient toujours par passer comme un mauvais hiver. Cette fois, le printemps ne vint jamais, et l'âge futur auquel on pourrait envisager de cesser de travailler pour prendre une retraite plus ou moins méritée commença à reculer année après année au rythme des basses eaux des caisses de l'État dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles fuyaient de toutes parts.

Dans le même temps, les plus chanceux, ceux du siècle d'avant, arrivaient pour ce qui les concernait à la fin de leur carrière professionnelle et entraient en soupirant d'aise dans le temps du repos et des loisirs dont ils comptaient profiter d'autant plus égoïstement qu'ils savaient déjà que les générations derrière n'auraient pas la même chance.

Les premiers cas défrayèrent la chronique et l'on cria haut et fort au scandale, à la démence, à l'acte gratuit.

Par la suite et de plus en plus souvent, les unes des journaux rendirent compte de nouveaux cas puis encore et encore et puis l'on se lassa et s'habitua et puis bientôt cela devint une habitude, une routine, quelque chose de normal qui ne provoquait plus grand remous mais amenait toujours un peu d'ambiance dans un samedi soir pavé d'ennui, une fin de soirée réussie, une communion qui n'en finissait pas : les plus jeunes pourchassaient les vieux et les éliminaient physiquement dans de grandes orgies de violence afin de diminuer leur nombre et faire baisser la population des nuisibles qu'ils étaient devenus.

Chez les vieux, les plus riches s'enfuyaient, s'installant sur des terres vierges où ils construisaient des zones militarisées à l'intérieur desquelles leur sécurité était assurée à grand renfort d'armes comme d'argent et continuaient de vieillir comme si de rien n'était.

Pour les autres, ils se terraient : la chasse était ouverte toute l'année.