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Sais-tu (11)

La nuit tombait, indifférente à toutes ces histoires sans fin, mais je poursuivais mon labeur alors que lui, le plus souvent, s'était levé pour aller s'étendre sur le sofa, quand il ne s'endormait pas tout simplement, quasi mort, la tête posée sur ses bras croisés, et le tout sur la table, me rappelant qu'il y avait quelque part, quelqu'un, de manière certaine, qui attendait.

A présent, c'était une pelote de tuyaux qu'il me fallait comprendre, interroger, dénouer, dans la blancheur quasi virginale de son labyrinthe. Du bout des doigts, patiemment, je suivais les méandres des tubulures, essayant d'en saisir les secrètes fonctions, mais je devais rapidement reconnaître que je ne pouvais aller bien loin. De cette ville, je n'avais que des fragments, façon puzzle, et ce qui coulait dans ses veines me restait encore largement inconnu, interdit en fait, à croire qu'elle se refusait pour mieux s'offrir plus tard à qui prendrait le temps de la trouver non pas telle qu'elle paraissait être mais bien telle qu'elle était, une juxtaposition permanente d'impressions plus fugaces les unes que les autres.

Quoi encore ? Là, nous étions dans un hall, celui d'un monument érigé à une gloire locale, un de ces endroits où l'on ne fait que passer peut-être, sans même lever la tête, parce qu'il faut être passé là, dans cette ville-là, et puisque toutes les villes ont de ces lieux qui n'en sont pas, dont on ne conserve aucun souvenir, ce qui peut expliquer que l'on se sent obligé d'en mitrailler chaque recoin, quasi chaque centimètre carré, pour tenter a minima de créer une réminiscence qui restera quelque part, sinon dans nos têtes, au moins dans nos tiroirs, et pourra dire, et saura dire, que nous étions un jour, une heure, là-bas, et que nous avons vu ceci, et cela, et ces murs-là aussi, et que nous nous sommes assis là, et que nous avons regardé des heures les autres qui passaient.

Et ils passaient, manifestement, ils couraient et certainement au moins autant dessous la terre qu'au-dessus, comme laissait à le penser le nombre d'instantanés où je trouvais, parfois un peu flous, les reflets d'hommes et de femmes assis dans une rame de métro, affaissés pour la plupart sur des vies dont on ne pouvait qu'imaginer la suite, et les trames, ces dernières parvenues à force de patience, de rudesse, de sape, à faire que tous et toutes, presque, se ressemblaient, venaient à presque paraître être devenus des poupées que l'on aurait oubliées sur un banc après en avoir coupé les fils (et toujours, tout de même, cette question récurrente, qui devenait lancinante, au point qu'il m'arrivait plus d'une fois de m'éveiller en plein sommeil avec en tête cette seule phrase qui était presque un mantra où était-ce, où était-ce, où était-ce ?)

à suivre...