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Sais-tu (4)

Sais-tu que rien ne prouve que cette ville existe, me disait-il, et nous regardions ensemble les clichés exhumés de quelque livre acheté un jour, par hasard, dans une bouquinerie du centre, en essayant de nous raccrocher à un détail, n'importe lequel, qui aurait permis de ramener ces rues, ces bâtiments, ces visages, à un possible, à la réalité. Tout semblait être là pourtant de ce qui faisait nos modernes agglomérations, ces mégalopoles où l'on pouvait se perdre en quelques heures pour peu que l'on marche sans prêter attention aux directions prises à chaque coin de rue, à chaque intersection, parce que les constructions dissimulaient souvent derrière leurs faces de béton notre dernier repère, le soleil que nous avions laissé là-haut en pensant que somme toute, c'était encore sa place et que si nous avions modifié le reste, tout le reste, lui pouvait échapper à cela, ce qui ne manquait pas d'ailleurs de déclencher de longues polémiques dans les conversations d'été. Tout semblait là, et même un réseau de métro, comme essayait d'en témoigner un plan dont nous avions déniché, à force de patience et de recherches dans des centaines de cartons sans doute jamais ouverts, une sorte de photographie comme saisie au vol par quelque passager en transit, en retard, dans le ventre distendu de la grande ville, ainsi que nous avions commencé malgré tout à l'appeler et bien que lui persistait à mettre en doute la possibilité même de son existence, ce qui finissait par m'agacer un peu et me poussait à rechercher, encore et encore, quelque chose qui aurait eu statut de preuve, même temporaire.

Regarde pourtant, lui disais-je, regarde, et j'étalais devant ses yeux, dessus la table, toute une série d'images trouvées avec celle du plan du métro, sur laquelle on voyait d'autres lieux du dessous de la ville, et puis d'humaines formes, dont on ne pouvait pas, légitimement, douter qu'il s'agissait d'urbains réels saisis au vol par un photographe amateur ou quelque explorateur qui n'aurait pas voulu que l'on s'aperçoive de sa présence dans ces couloirs dont on imaginait sans peine qu'ils se déroulaient jusqu'à ce qu'on se dise qu'ils devaient être sans fin aucune, vraiment, sans fin, se poursuivant, après les limites de la ville, sous les champs, dans le secret des dessous d'une campagne qu'on inventait à mesure d'en parler.