Révision Operations
09/10/2022 - 10:29 par dbourrion

Révision actuelle

Il y a eu alors la découverte des dortoirs, les lits alignés dans les boxs, les armoires bois scarifiées par les noms gravés dans des endroits qu'on ne voyait pas de suite, pas au premier regard, seulement quand on était couché sur les matelas où des générations entières de gars étaient passées avant. Il y a eu les douches alignées elles aussi le long d'un mur avec leurs rideaux plastiques en carafe tristes comme des jours sans pain, les lavabos autour sur les autres murs et puis aussi en une rangée, en plein milieu de la salle carrelée tellement froide avec son carrelage blanc qu'on pensait une banquise en y entrant. Il y a eu tous ces visages, tous inconnus, tous crispés puisque c'était le dortoir des secondes, les arrivants, les bleus bite, avec leurs traits dont certains deviendraient amis, étrangement familiers quand d'autres, la plupart, resteraient à jamais d'un flou irrémédiable dans ce présent de la rentrée, et dans l'avenir des trois années prévues pour le lycée, avant de tomber sans pitié possible avec tout le reste, la vie, dans la grande fosse du passé, elle-même floue, pour s'y fondre sans retour.

Il y a eu les draps dépliés, l'oreiller enfilé dans sa taie, les vêtements sortis des sacs avant d'être étalés dessus le lit puis rangés dans l'armoire en un alignement parfait qui ne durerait même pas une semaine. Il y a eu des gars en costume gris, portant des listes, passant partout, cochant puis recochant, comptant, raturant, gommant, rassurant les parents inquiets, jaugeant les arrivants d'un seul regard, les étiquetant gentil, à surveiller, emmerdeur, petit con, incontrôlable, idiot, lavette, et on ne saurait jamais où l'on était rangé dedans leurs têtes, et ils nous impressionneraient un peu ce jour-là avec leurs yeux presque vides, avant que plus tard dans l'année on finisse par remarquer que l'un ne foutait rien, que l'autre buvait tant qu'il pouvait, qu'on s'en cognait en fait d'eux tellement qu'on ne saurait jamais leurs noms, seulement leurs surnoms, ça suffisait pour dire du mal à leur sujet entre nous le soir manière de s'occuper pendant l'étude parfumée de nos pieds légèrement puants, de nos aisselles de même.

Après, au-dessus de la cour qu'on voit depuis la rue, il y a ce bâtiment de trois étages où s'empilent les salles de classe, laid comme ils savent tous l'être partout, sous lequel il fallait passer pour atteindre à une seconde cour où on traînait le plus clair du temps qu'on ne perdait pas entassés dans une boîte à sardines à écouter vaguement un prof. C'est une cour de lycée, ce n'est donc rien, un rectangle de bitume, quelques murets, des bancs, un préau avec vue sur lui-même toujours, une nuée de braillements, de blagues, d'histoires de filles d'autant plus incroyables que c'est ici un lycée de garçons et que les filles y sont aussi rares qu'un Eskimo dans les déserts d'Arabie. D'ici, juché sur ces années passées qui me font un gros tas de sable, je me souviens à peine de deux voire peut-être trois jeunes demoiselles dans tout l'entier bahut, quasi un bourg qui comptait quelque chose comme mille cinq cents gaillards boutonneux, énervés dans leur jean, chevelus souvent, portant la veste militaire qu'il fallait arborer pour bien montrer qu'on était un rebelle, un dur, le genre qui va se castagner avec des ennemis imaginaires, ou bien les gars dans les bals du samedi bourrés comme des vaches, au moins autant que nous. Les quelques, de filles, elles ne devaient pas tellement aimer être là, dans cette fosse aux lions lourdingues, la plupart persuadé d'être des tombeurs, des amants formidables, du moins, tentant de s'en persuader en baratinant les copains.