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La Grenade - Tom

Son père l'avait rencontré après coup, alors que Bill s'était déjà endormi épuisé d'être né. Lassé d'attendre une délivrance ne semblant pas arriver, s'ennuyant à assister aux efforts pour le moins sonores de sa femme, son géniteur était finalement parti à la pêche au bord de la rivière tranquille qu'il affectionnait tant. Peut-être parce que là-bas, il pouvait être seul, sans personne pour venir lui voler du temps, de l'énergie. Sans personne pour le forcer plus ou moins à s'engager dans ces conversations auxquelles il ne trouvait ni queue ni tête, fondées uniquement qu'elles étaient sur des règles absurdes de bon voisinage qu'il devait subir tout en tentant de s'y engager le moins possible. Répondant au minimum, parfois par le seul moyen de quelques onomatopées bien suffisantes.

Ce jour-là, l'air était posé assez pour que les seules libellules en creusent le ventre sans trop d'efforts, dans des nuées presque translucides. Lançant sa mouche avec la régularité dont il savait faire preuve, il regardait passer l'eau claire qui s'en allait vers l'océan là-bas qu'il n'avait jamais vu, et ne verrait jamais. Plus haut, sur le pont, quelques voitures passaient de temps à autre, leurs roues scandant une mélopée rugueuse. Devant, les roseaux bruns, gris, inclinaient leurs têtes mollement. Une cigarette pendait sur ses lèvres fines. Son geste répété était celui d'une machine perpétuelle, sans heurts, sans nulle hésitation. Il se souvenait de toutes les filles qu'il avait amenées ici, juste sous le pont.

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