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La Grenade

Le jour de sa naissance, son père en but tellement qu'il ne rentra que le lendemain. Penaud. Dépenaillé. Ses cheveux blonds emmêlés des restes de la paille où il avait dormi, dans quelque grange à la porte entrouverte.

Personne ne fermait jamais ces vantaux. Nulle chaîne, nul cadenas ne venaient au grand jamais en interdire l'accès. Chacun savait qu'il fallait en laisser l'entrée bien libre, puisque tous avaient eu un jour ou l'autre besoin de s'y réfugier. S'y cacher. Y passer quelques heures le temps de retrouver ses esprits après une méchante ivresse. Y trousser quelque voisine, une jeune fille sur laquelle on avait lorgné depuis des mois, parfois des années. Et que l'on parvenait enfin à entraîner dans ces lieux propices qui avaient vu tellement de corps s'imbriquer que, si leurs murs de planches avaient parlé, cela aurait mis le village à feu à et sang. Puisque ces coucheries n'étaient pas toujours autorisées. Pas toujours de celles qui pouvaient se concevoir dans la paroisse. Pas toujours de ces moments tolérés où un homme sans alliance, une femme de même, se mettaient nus ou à moitié, pressés, pour se connaître au sens biblique du terme. Se renverser. Apaiser l'incendie.

(...)

Pour lui, le père d'Helmut, il avait été fort aise de trouver un tas de paille pour y cuver la cuite monumentale par laquelle il avait fêté l'arrivée de son premier fils. Même si, en toute bonne foi, il ne gardait pas le moindre souvenir de la manière dont il s'était retrouvé avachi là, la chemise ouverte, étalé sur le dos et ronflant tant que le propriétaire de la grange, qui l'avait trouvé au matin, l'avait réveillé, en riait encore des années après.

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