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Cinquante #24

Ils ouvraient droit et large les champs, une ribambelle de gars casqués dont on voyait les groupes le long de la cicatrice large et leurs engins aussi dans le loin jaunes clignotants, c'était un vrai coup de scalpel, des équipes successives chacune avec sa tâche et rien d'autre de plus, après eux passaient les soudeurs joignant dans le bleu électrique le mystère de leur casque les portions de tuyau, une machinerie parfaite, les grues soulevant le long serpent qui résultait l'emmaillotant, cette gymnastique de rubans épais comme la main tourbillonnants puis le posant doucement au fond de la tranchée avant d'y jeter ce qu'il fallait de glaise grasse pour que ça ne bouge plus, parfois les grues d'avant avaient percé une source, une poche de l'eau dessous, les hommes faisaient autour comme un boudin de terre plus haute qui devenait un étang éphémère et là c'était l'abouchement d'une source, j'en suis presque certain, nous avions grimpé au talus devenu roche plus bas brillait une eau claire comme jamais froide terriblement dans l'août en son milieu, impossible de ne pas s'y jeter, un été loin maintenant, nos dents en claquent encore.

C'est quelque part là-bas, la route n'y monte pas, la Google Car non plus et puis de fait il n'y a rien à voir, tout est dessous maintenant, la tranchée refermée, le tuyau enterré, dedans passe du gaz et l'on remarque parfois le long de son parcours semés régulièrement des poteaux blancs marqueurs, ça dessine une ligne, c'est la seule trace encore, dans le tuyau aussi, avant qu'il soit enfoui, mon père était allé juste pour se "promener", il avait là rampé puis se rendant compte du danger, était revenu arrière, son chien à l'embouchure aboyait sans arrêt, dessous la terre mille sources et un très long tuyau que plus personne ne voit.