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Chien Rouge / François Bon

Vase communicant : Tiers-Livre

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les camions sont des chiens rouges les camions ont un museau le museau des camions est rouge immenses sont les camions lents sont les camions rouges et les routes sinuent sur la longueur ici de la terre les routes n’ont pas de bord les camions s’arrêtent chiens rouges sur les aires on y mange (chiens chauds gobelets tièdes) on y dort on dort dans les camions le hublot rond derrière les cabines en rouge il y a tous les services sur les aires les portes des camions se referment dans la nuit on tire le rideau et derrière le hublot la route sinue en rêve dans la tête de ceux qui dorment les camions sur la route ici roulent à toutes heures ils vont en bloc lent qu’on double lentement ils vont par chromes et fumées le pot d’échappement monte droit sur le hublot le profil qu’on aperçoit à casquette et lunettes noires (on ne connaît pas le visage sans masque de ceux qui s’abritent dans les chiens rouges) les villes sont à distance les villes sont par delà les forêts les villes sont par delà les grandes plaines aux silos et fermes juste posées sur l’infini de la plaine comme des camions arrêtés chiens rouges arrêtés les villes sont par delà les montagnes elles ont des noms elles ont des cols on longe les lacs on ronge les signes (les directions ne sont pas des villes mais des lettres et des directions on a pour chaque route un numéro et une orientation et l’interstate ou pas interstate on sait qu’on va north ou qu’on va west, qu’on va est ou qu’on roule south dans les aires on mange on commande sa part on la pose sur la plateau avec le gobelet tiède on avale ça le gras on boit ça le brûlant dans la gobelet tiède puis on retourne au camion on ferme le rideau on dort toi tu roulais plus bas toi tu doublais au niveau des chromes et des phares toi tu passais sous le regard du type là-haut à casquette et verre fumée et même si toi aussi tu t’arrêtais sur les aires même si toi aussi parfois t’arrêtais pour dormir camion non elle nous est inaccessible la vie des chiens rouges ces camions sont toujours neufs ces camions sont toujours de couleurs vives ces camions sont toujours par paquets de quarante alignés sur les aires et quand tu arrives dans les villes ce sont des champs qui de camions neufs sont pleins, de demi camion à équiper de remorque et de trains de remorques de calandres plus hautes que l’homme qui à casquette et lunettes montera les trois marches inox et chrome démarrera le camion s’en ira sur la route et plus jamais ne reviendra (à la prison de Hull-Gâtineau tu avais parlé à un comme ça à cause de son texte il conduisait un camion il faisait la route en diagonale de Québec North à L A South et remonter par Seattle et Vancouver et retour East par le Manitoba où la route est longue et plane comme le nom toi tu t’étais perdu dans les lacs toi tu t’arrêtais aux aires pour les regarder avec leur plateau et leur gobelet mais lui dans la prison de Hull-Gâtineau savoir s’il rêvait encore à la route aux quatre tours de la terre faits en un an il avait dit quatorze il avait dit quatorze ans quatre fois le tour de la terre tu sais combien ça fait il avait dit) chiens rouges les camions ils heurtent aux portes des villes ils diffusent dans les zones on les vide ils repartent on les saigne ils s’arrêtent c’est une autre aire et encore le rideau tiré dans les aires au bord des villes les voitures ne s’arrêtent pas les piétons ne passent pas les chiens errent les chiens montent dans les camions et conduisent (lui qui était en prison et si son camion de L A South à Chicago puis de Chicago à Ottawa où de l’autre côté de la rivière à Hull-Gâtineau était la prison dans ses grillages ses barrières est-ce qu’il continuait son camion faut-il quelqu’un à bord quelqu’un qui dorme derrière les hublots pour qu’un camion rouge roule et roule rouge sur la route grise sous le ciel gris sous le ciel rouge roule entre les villes entre les aires) les camions sont des chiens rouges qui viennent hurler aux villes les villes parfois les enferment et les chiens dans les villes qui errent aux bords où ne s’arrêtent pas les voitures où ne vont pas les piétons ils montent dans les camions rouges ils roulent à leur tour en casquette et lunettes comment saurais-tu de ville en ville qui va qui roule les camions sont rouges les camions sont chiens rouges et ainsi la terre ainsi nous là-bas sur la terre qui n’est pas une autre terre qui est notre terre et terre partout est un pluriel ce sont les camions qui lient la terre et lui imposent son pluriel ainsi viennent-ils dans nos têtes dans nos rêves ainsi nous font-ils crier aux terres dans les rêves ainsi replie-t-on en boule les routes et les villes ainsi oublie-t-on les lacs les forêts les montagnes ainsi reste-t-on seul devant le camion rouge ainsi s’adresse-t-on au chien qu’on est chacun flairant la terre disant sa misère chien toi sur la terre la flairant chien toi sur la terre y mordant chien toi sur la terre y fuyant ils avaient mis sous grille le camion rouge pour dire comme ce n’était pas ça la terre pas livrée aux chiens la terre pas livrées aux chiens les villes les plaines les montagnes les aires et les routes à emballer la terre tu portais disais-tu derrière la vitre du camion un autre portrait un autre visage et ton propre visage peut-être dans le camion rouge à l’assaut de la terre moi ce visage tant je le cherchais tant c’est moi-même peut-être que j’y voulais combien de fois autrefois je l’avais enfourché le chien rouge et puis voilà regarde ainsi la terre ainsi la ville et nous-mêmes ainsi regarde voilà

ChGrossi (non vérifié) ven 01/10/2010 - 22:26

A un moment donné j'ai cru voir Mahigan Lepage faire du stop, j'y étais. J'aime beaucoup aussi cette manière de répondre à Daniel (votre échange, sa photo, vos écritures, univers, via les sites) à l'intérieur même du texte ("dans le camion rouge à l’assaut de la terre moi ce visage tant je le cherchais tant c’est moi-même" et "regarde ainsi la terre ainsi la ville et nous-mêmes ainsi regarde voilà"). Vous allez continuer, ensemble, hein ?